Israel in 2023: listen to my people

On Oct. 18, 2023, Le Monde published a paper that I wrote with Alain Policar. Our hearts are broken and we are sad and angry. But given our wonderful friends on the Israeli left, we have no right to be desperate.

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Guerre Israël-Hamas : « Dans l’ivresse de la vengeance, les voix de ceux qui veulent la paix sont presque inaudibles »

Le sociologue Alain Policar et la philosophe Anna C. Zielinska déplorent, dans une tribune au « Monde », la surenchère menée par les dirigeants israéliens et palestiniens, et appellent à amplifier l’appel des organisations israéliennes, juives et palestiniennes en faveur d’un règlement du conflit.

Depuis le 7 octobre, notre tristesse est infinie face à une catastrophe inédite dans l’histoire d’Israël depuis 1948. Notre quotidien a été bouleversé : il est désormais guidé par le désir d’aider et de soutenir les Israéliens, amis, familles, inconnus. Notre condamnation des crimes du Hamas, lesquels s’apparentent à des pogroms, n’admet pas la moindre nuance.

Ces massacres sont hélas conformes au programme que le Hamas s’est donné dès sa création, en 1987. Car il ne devrait faire de doute pour quiconque que l’objectif de cette organisation terroriste, comme du Jihad islamique et du Hezbollah, est la destruction d’Israël : il s’agit donc de tuer les juifs en tant que tels.

Ceux qui se réclament de la gauche et qui ont choisi la complaisance, voire le soutien aux tueurs du Hamas, en porteront longtemps le déshonneur. Face au massacre de civils, tous indistinctement considérés comme des cibles légitimes (dans son article 7, la Charte de 1988 énonce : « Musulman, serviteur de Dieu, un juif se cache derrière moi, viens et tue-le »), aucune justification n’est recevable. Le Hamas doit être dénoncé comme un ennemi de la cause palestinienne, comme un mouvement de style fasciste, et non comme un mouvement de libération.

Le fascisme a des causes : il peut se nourrir du désir de vengeance que suscitent la violence et l’injustice. Il faut reconnaître ces causes et les combattre. Mais que le fascisme ait des causes ne transforme pas le fascisme en « résistance » et en « mouvement de libération ». Le fascisme ne libère rien : il opprime ceux à qui il promet une libération qu’il ne définit que par la mort des non-fanatiques. Que le gouvernement actuel d’Israël et la politique de colonisation portent une lourde responsabilité politique dans l’exacerbation des haines et dans l’affaiblissement de la sécurité d’Israël est certain. Mais la culpabilité du crime est celle du Hamas seul, qui n’a pas d’autre but que de consolider sa propre terreur sur les populations qu’il tyrannise en leur proposant les jouissances du meurtre de masse.

Penser politiquement

Face à un terrorisme dont le but affiché est la guerre à mort, il faut cependant résister au vertige de la tentation de répondre par une guerre indifférenciée contre une population entière. Il faut penser politiquement. Notre absolue condamnation ne doit pas suspendre le jugement, parce que nous vivons un échec commun, qui engage les démocrates européens aux côtés des nombreux Israéliens ayant inlassablement protesté contre une politique qui trahit leur quête de la justice.

Durant cinquante-six longues années, les mises en garde n’ont pas manqué quant aux dangers de l’occupation et de la colonisation pour la pérennité de la démocratie israélienne. Yeshayahou Leibowitz (1903-1994), figure majeure de la pensée juive, avait averti : « Depuis 1967, l’Etat d’Israël est devenu un appareil d’oppression sur un autre peuple. Ses énergies sont tendues vers ce seul but : perpétuer l’oppression. » Il ajoutait lucidement : « Notre problème, au fond, est moins de libérer la Palestine − de cela, les Palestiniens eux-mêmes se chargeront − que de libérer l’Etat d’Israël en le délivrant du joug des territoires. » Leibowitz assumait sa trahison envers une spiritualité dégradée en raison d’Etat. Cet avertissement n’a pas été entendu.

L’actuel gouvernement est très loin, à l’évidence, de se soucier de la pérennité des principes démocratiques. Illibéral, il ne cherche qu’à conserver le pouvoir et manifeste son désintérêt pour la coexistence des peuples israélien et palestinien. Animé d’une idéologie messianique, il ne se préoccupe que de l’annexion de la Cisjordanie et multiplie les provocations concernant des lieux saints de l’islam à Jérusalem. Il montre ainsi son mépris de l’autre par des arrestations absurdes et des humiliations. Etre attaché à l’existence d’Israël, c’est espérer le discrédit d’un gouvernement qui a négligé la question de la sécurité nationale et s’est tenu éloigné de toute réflexion sur une possible solution du conflit, sans comprendre les liens entre ces deux aspects. Un gouvernement qui, en cherchant à affaiblir l’Autorité palestinienne, a objectivement renforcé le Hamas.

Parvenir au dialogue

Israël devait être l’endroit où les juifs seraient enfin protégés de la haine. Il est devenu le lieu où ils sont massacrés.

Nous voudrions porter la voix des organisations se battant pour la paix : B’Tselem, Standing Together, Breaking the Silence et Les Guerrières de la paix, celle de la femme politique Zehava Galon, de l’activiste et ancien député Dov Khenin, celle de l’avocat Michael Sfard, celle des milliers de personnes engagées dans le mouvement pour la paix, et tant d’autres. Nous pensons à Vivian Silver, figure importante de ces luttes, qui fait probablement partie des otages du Hamas. Nous partageons leur consternation devant le fait que la réponse au plus grand massacre depuis la création moderne de l’Etat d’Israël soit élaborée par ceux qui ont directement contribué à la dégradation vertigineuse de la situation des Palestiniens et de la sécurité des Israéliens.

Les instances dirigeantes palestiniennes, plus indifférentes encore à la démocratie que le gouvernement d’Israël, ne sont pas à la hauteur des aspirations de leur peuple. Nous restons persuadés qu’Israéliens et Palestiniens valent infiniment mieux que leurs dirigeants. Hélas, dans l’ivresse de la vengeance, les voix de ceux qui veulent la paix sont presque inaudibles. Nous exprimons ici notre soutien à ceux qui luttent sans relâche pour parvenir, sinon à la conciliation, du moins au dialogue.

Dans l’immédiat, nous émettons le souhait que la communauté internationale parvienne à obtenir la libération des otages. A terme, nous espérons, avec Ayman Odeh, député arabe israélien, que le choix de l’avenir pour cette région sera celui de la vie.

Alain Policar est chercheur associé au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof). Il vient de codiriger « L’universalisme en débat(s) » avec Stéphane Dufoix (éd. Le Bord de l’eau, 264 pages, 22 euros) ; Anna C. Zielinska est maîtresse de conférences en philosophie morale, juridique et politique à l’université de Lorraine. Elle y dirige l’unité EDI (Egalité, diversité, inclusion). Elle est membre de l’Independent Resource Group for Global Health Justice.

Alain Policar(Sociologue) et Anna C. Zielinska(Philosophe)

English

Israel-Hamas war: “In the intoxication of revenge, the voices of those who want peace are almost inaudible”.

In an article for “Le Monde”, sociologist Alain Policar and philosopher Anna C. Zielinska deplore the one-upmanship of Israeli and Palestinian leaders, and call on Israeli, Jewish and Palestinian organisations to amplify their call for a solution to the conflict.

Since 7 October, we have been endlessly saddened by a catastrophe unprecedented in the history of Israel since 1948. Our daily lives have been turned upside down: they are now guided by the desire to help and support Israelis, friends, families and strangers. Our condemnation of the crimes of Hamas, which are akin to pogroms, does not admit of the slightest nuance.

Unfortunately, these massacres are in line with the programme that Hamas set itself when it was founded in 1987. For there should be no doubt in anyone’s mind that the objective of this terrorist organisation, like that of Islamic Jihad and Hezbollah, is the destruction of Israel: it is therefore to kill the Jews as such.

Those who claim to be on the Left and who have chosen to be complacent, or even to support the Hamas killers, will long be disgraced by this. In the face of the massacre of civilians, all indiscriminately regarded as legitimate targets (Article 7 of the 1988 Charter states: “Muslim, servant of God, a Jew is hiding behind me, come and kill him”), no justification is acceptable. Hamas must be denounced as an enemy of the Palestinian cause, as a fascist-style movement, not as a liberation movement.

Fascism has causes: it can feed on the desire for revenge that violence and injustice arouse. These causes must be recognised and fought. But the fact that fascism has causes does not make it a “resistance” or a “liberation movement”. Fascism does not liberate anything: it oppresses those to whom it promises a liberation that it defines only by the death of non-fanatics. That the current Israeli government and its settlement policy bear a heavy political responsibility for the exacerbation of hatred and the weakening of Israel’s security is certain. But the culpability for the crime lies solely with Hamas, which has no other aim than to consolidate its own terror over the populations it tyrannises by offering them the pleasures of mass murder.

Thinking politically

Faced with a form of terrorism whose stated aim is a war of death, we must resist the dizzying temptation to respond with an indiscriminate war against an entire population. We must think politically. Our absolute condemnation must not suspend judgement, because we are experiencing a shared failure, which commits European democrats alongside the many Israelis who have tirelessly protested against a policy that betrays their quest for justice.

For fifty-six long years, there has been no shortage of warnings about the dangers of occupation and colonisation for the future of Israeli democracy. Yeshayahu Leibowitz (1903-1994), a major figure in Jewish thought, warned: “Since 1967, the State of Israel has become an apparatus for oppressing another people. Its energies are directed towards a single goal: to perpetuate oppression”. He added lucidly: “Basically, our problem is not so much to liberate Palestine – the Palestinians themselves will take care of that – as to liberate the State of Israel by freeing it from the yoke of the territories”. Leibowitz accepted his betrayal of a spirituality that had been degraded into a reason for statehood. This warning has not been heeded.

It is clear that the current government is far from concerned about the durability of democratic principles. Illiberal, it seeks only to retain power and shows no interest in the coexistence of the Israeli and Palestinian peoples. Driven by a messianic ideology, its only concern is the annexation of the West Bank, and it is multiplying its provocations concerning the Islamic holy sites in Jerusalem. It shows its contempt for others through absurd arrests and humiliations. To be attached to the existence of Israel is to hope for the discrediting of a government that has neglected the question of national security and has distanced itself from any reflection on a possible solution to the conflict, without understanding the links between these two aspects. A government which, by seeking to weaken the Palestinian Authority, has objectively strengthened Hamas.

Achieving dialogue

Israel was supposed to be the place where Jews would finally be protected from hatred. It has become the place where they are massacred.

We would like to convey the voices of the organisations fighting for peace: B’Tselem, Standing Together, Breaking the Silence and Les Guerrières de la paix, of the politician Zehava Galon, of the activist and former MP Dov Khenin, of the lawyer Michael Sfard, of the thousands of people involved in the peace movement, and of so many others. Our thoughts are with Vivian Silver, an important figure in these struggles, who is probably one of the Hamas hostages. We share their dismay at the fact that the response to the greatest massacre since the modern creation of the State of Israel is being devised by those who have directly contributed to the dizzying deterioration in the situation of the Palestinians and the security of the Israelis.

The Palestinian leadership, which is even more indifferent to democracy than the Israeli government, does not live up to the aspirations of its people. We remain convinced that Israelis and Palestinians are infinitely better than their leaders. Unfortunately, in the intoxication of revenge, the voices of those who want peace are almost inaudible. We hereby express our support for those who are fighting tirelessly to achieve, if not conciliation, at least dialogue.

In the short term, we hope that the international community will succeed in obtaining the release of the hostages. In the long term, we hope, along with Ayman Odeh, an Israeli Arab MP, that the future of this region will be one of life.

Alain Policar is a research associate at the Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof). He has just co-edited “L’universalisme en débat(s)” with Stéphane Dufoix (ed. Le Bord de l’eau, 264 pages, 22 euros);
Anna C. Zielinska is a lecturer in moral, legal and political philosophy at the University of Lorraine. She heads the EDI (Equality, Diversity, Inclusion) unit there. She is a member of the Independent Resource Group for Global Health Justice.